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"COVID - Héros - Guerre - ENNUI -TRAUMATISME..."

Les nouveaux noms du Réel ?

PLAIDOIRIE Pour l’ennui !

par Mathilde Pagnat

L’ennui ne se supporte d’aucun objet, il vient à l’encontre de l’injonction qui nous est faite dans notre société moderne de profiter de tout et tout le temps. Cette injonction de jouir de tous les objets à portée de clics, révèle un malaise dans la civilisation, grandissant dans cette période délicate de confinement. Aussi, un pousse à consommer - chaîne télé et jeux éducatifs, cours de méditation,  exercices en tout genre, en passant par la communication bienveillante, les multiples activités dites ʺ Montessori ʺ- œuvre comme une machine sans fin pour dispenser des compétences parentales : Savoir bien occuper ses enfants !

Chacun de nous a à faire à sa propre jouissance, parfois effrénée : dans notre société, l’ennui est dévalorisé, signe de paresse, d’oisiveté … Une plaidoirie pour l’ennui vient à point nommé pour freiner ce « plus de jouir » qui nous harcèle, en voulant notre bien … Ne nous laissons pas faire !

Parce que l’ennui a du bon ! Il est même constructif, constituant pour l’enfant.

Soumis à la demande de l’Autre (dessine ! travaille ! regarde ! écoute !...) il faut bien l’ennui pour s’en détacher de cet autre, pour s’extraire et faire place au manque et donc au désir. Vivifier le désir, le relancer, pourrait trouver une de ses sources dans le rien de l’ennui !

Cet éprouvé de l’ennui, semble pris dans la structuration même du sujet, constitutionnel de sa capacité à traverser l’affect de la dépression, la solitude…Il est aussi le Nid de la rêverie, de la création, de l’éveil, de l’observation, invitant le sujet à inventer une solution vivante pour rompre avec le désagréable de l’ennui.

« L’ennui, fleur du désir … c’est partout où l’on s’ennuie que le désir est sauf » nous dit J.Clerget (2) ;

Alors ne nous précipitons pas à occuper nos enfants, à combler tous leurs manques, en se collant à l’idée qui nous est serinée d’une bonne façon d’être parent en confinement : laissons- leur la possibilité de s’ennuyer, et donc la possibilité d’une découverte sur le monde, sur soi-même … et cette découverte hautement subjective peut conduire à un appel à une autre dimension, celle de l’Autre ou de l’Ailleurs.

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Héros ?

ʺ On se souvient de La Peste d’Albert Camus, du Dr Rieux faisant face au mal qui frappe la ville d’Oran et qui répond à la question du « courage », de « l’héroïsme » et de l’« honnêteté » par la simple, la vraie, l’exigeante éthique du métier ʺ, dit R.Gori, en tirant cet extrait :

« c’est une idée qui peut faire rire, mais la seule façon de lutter contre la peste, c’est l’honnêteté. […] Je ne sais pas ce qu’elle est en général. Mais dans mon cas, je sais qu’elle consiste à faire mon métier. »

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R.Gori, psychanalyste, Dr en Psychopathologie ;

Interview L’humanité

Des Traumatismes...

On ne sait pas « à priori » ce qui fait traumatisme pour tel ou tel autre sujet (1). L’effraction psychique, son effet de sidération sont à chaque fois au « Un par UN » car lié à ce qui a fait trauma dans la vie d’un sujet. Irruption innommable dans un petit monde bien organisé, le traumatisme vient bousculer toute certitude de sécurité interne.

R.Gori (3) nous dit qu’il « a lieu quand on n'a pas pu se préparer à un événement, quand on est surpris psychiquement. Si vous connaissez le danger qui va surgir, vous vous y préparez. Le traumatisme psychique n'est en rien proportionnel aux blessures"
Au niveau psychique on a tous l'habitude de fonctionner à plusieurs temporalités. On se remémore des moments du passé, on se projette dans l'avenir. Le coronavirus complique les projections dans l'avenir avec cette incertitude qui crée, soit une impossibilité soit une projection angoissante. Alors de cet étrange inconnu, source d'angoisse,  pour rassembler ce qui a volé en éclats, chacun peut « S’EN SORTIR, SANS SORTIR » grâce aux effets de la parole et du lien social !

Références :

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1 . Le coronavirus, une rencontre avec le réel ; De Armelle Guivarch in Lacan Quotidien n°872 mars 2020 

 

2 . L’ennui, fleur du désir. De Joël Clerget, in Enfances et Psy ; 2016/2, n°70

 

3. R.Gori, Interview

 

4 . « S’en sortir, Sans sortir,»

Titre de l’Antenne du BAPU de Rennes

téléconsultations, "Présentiel"...
une pratique inédite à mener au singulier ?

Par Corinne Pultz-Cargou

Dans notre société où les sciences sont valorisées comme détentrices du savoir et capables de maîtriser toujours davantage notre environnement et l’homme, l’apparition de ce nouveau virus nommé COVID 19 fait rupture, désemparant scientifiques et médecins.

L’absence de connaissance sur ce virus et de traitement rend la science incapable de protéger l’homme et oblige à des mesures que l’on pensait révolues.

Ce virus fait donc supporter à chacun des changements inédits, des images et des annonces violentes, une situation de menace permanente où l’autre est à mettre à distance puisque potentiellement contaminant.

 

Dans cette situation de sidération, la fonction du psychologue est essentielle dans ce qu’elle offre un abri où peut se loger la parole, les silences, les affects.

La contagiosité du virus a obligé certains de ces professionnels à proposer des entretiens par téléphone ou en visio, et conduit à emprunter au domaine de la formation l’expression « en présentiel » pour les psychologues se rendant auprès des patients. Cette opposition suggère donc, par rapport à notre pratique, l’absence de corps, de corps parlant. De surcroît, ces nouveaux entretiens se réalisent dans un lieu qui n’est pas identifié comme tel et souvent appartenant à l’environnement de la personne ; ils se déroulent hors regard ou éventuellement par écran interposé. Quels en sont alors les effets sur le transfert, sur les manifestations de l’inconscient ?

Mme C souhaite poursuivre les séances par téléphone. Au cours d’un entretien, elle parle d’angoisse face à la COVID19 qui provoque un « besoin de sucre » qu’elle parvient très difficilement à réprimer. Si elle l’a déjà évoqué, cette fois-ci, dit-elle, elle veut tout en dire pour se soulager de ce dont elle a honte. Une énonciation du corps qui se fait à l’abri du regard de l’autre, du regard qui juge.

Ces situations inaugurales posent questions du côté du patient mais aussi du psychologue, qui, en plus, se trouve concerné par la même actualité que la personne qu’il reçoit.

De fait le psychologue doit se dégager de son vécu de la crise sanitaire pour pouvoir être à l’écoute de ce que dit la personne. Effectivement si chacun est confronté à la même réalité, elle est attrapée différemment selon son histoire, la structuration de sa personnalité ; et pour avoir un effet de la parole, l’entretien psychologique doit s’intéresser au réel de la personne.

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Mr M appelle pendant le confinement suite à sa mise en télétravail qui lui est insoutenable. Mr M revient sur la précipitation de cette décision imposée et rapporte les propos qui lui ont été tenus « vite, rangez vos affaires et rentrez chez vous, vous ne pouvez plus travailler sur site avec vos antécédents médicaux » ; entretien qui permettra à Mr M de faire le lien avec l’annonce de son cancer où le médecin lui a imposé de s’arrêter immédiatement de travailler, ce premier arrêt de travail de sa carrière faisant surgir pour lui le réel de sa maladie signe de sa vulnérabilité, sa finitude.

Quelles que soient les modalités de l’entretien, le psychologue doit donc parvenir à soutenir l’énonciation pour que la personne puisse dire ce qui se passe pour elle dans cette crise et le traiter. Ainsi, elle se soutient de sa parole pour supporter son réel de la COVID19.

 

Malgré la distance dans ces nouveaux entretiens, l’écoute du psychologue doit continuer à être pleine d’une présence qui témoigne de son désir que que le patient continue à se dire pour lui permettre de bricoler ses propres arrangements ; ici vouloir pour l’autre n’est pas savoir pour l’autre qui reviendrait à donner des conseils et donc à barrer l’énonciation laissant alors la personne toujours autant démunie face à la situation actuelle.

Le psychologue ignore ce qui fait solution pour le patient mais fait le pari que la personne est capable de trouver ses solutions pour se tenir face à la crise. De cette position du psychologue, le patient se soutient et parvient à supporter ce qui surgit pour lui.

Mme L présente une psychose ordinaire et a été opérée d’un cancer au début du confinement. Elle pourra dire que le confinement lui a évité les questions sur sa maladie ; en définitive le confinement l’a mise à l’abri de l’autre, de l’autre qui veut savoir, qui persécute.

En somme, l’écoute et le transfert sont la boussole du psychologue d’orientation psychanalytique qu’il manie différemment en visio et en « présentiel ». Il n’y a pas une modalité d’entretien mieux que l’autre, il s’agit toujours d’une pratique au singulier, au un par un qui doit s’ajuster à l’écouté et à l’écoutant.

 

Pour autant, un suivi psychothérapeutique peut-il être exempt de la présence du corps ?

Mr P qui regrette que l’entretien en bureau ne puisse être maintenu et fixe une date éloignée pour être assuré qu’il pourra venir –insistant sur ce terme. Mr P présente une cécité totale depuis plusieurs années par conséquent il n’a jamais vu le lieu où ses entretiens se déroulent et ne m’a vue qu’au travers de sa main posée sur mon bras qui le conduit de la salle d’attente au bureau, et lui permet de déduire justement ma silhouette.

 Références :

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1 Modalités de la présence ; de Florencia F.C. Shanaban in Lacan Quotidien n°881 18 avril 2020

2 Solitude des corps ; de Marie Hélène Brousse in Lacan Quotidien n°883

3. Le Séminaire Livre VIII Le Transfert ; de Jacques Lacan.

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